Chaque année, des centaines d’appels circulent sur les réseaux sociaux, par email ou même en face à face : « Photographe recherché pour couvrir notre événement ! ». Jusque-là, rien d’anormal. Sauf qu’un détail revient systématiquement :
« Pas de budget, mais une super visibilité à la clé ! »
Et cette demande, on la retrouve dans tous les domaines : festivals, clubs sportifs, associations, entreprises privées… et elle touche tous les métiers créatifs : photographes, vidéastes, graphistes, développeurs web. Le photographe est souvent l’un des premiers concernés, mais loin d’être le seul à qui l’on demande d’offrir une prestation professionnelle, gratuitement.
Pourquoi cette demande est problématique
Personne ne demande à une entreprise de BTP de venir couler une dalle gratuitement. Personne ne va chez un boulanger pour demander une baguette en échange de visibilité, ni chez un plombier ou un électricien pour un dépannage gratuit. Et on ne s’adresse pas à un constructeur automobile pour réclamer une voiture sans payer, sous prétexte qu’on en parlera autour de soi.
Mais avec la photo, c’est différent. Parce qu’elle est accessible, parce que c’est une passion pour beaucoup, on présuppose que ce n’est pas un vrai travail. Et c’est là que le piège commence.
Passion ne veut pas dire gratuité
Oui, beaucoup de photographes sont passionnés. Mais ils ont aussi investi des milliers d’euros dans leur matériel. Ils passent des heures en repérage, en prises de vues, en sélection, en post-traitement, en livraison.
Et ce n’est pas tout : ils doivent aussi gérer les aspects administratifs, assurer leur matériel, se déplacer souvent, se former en continu, prospecter des clients, entretenir leur site internet, faire leur comptabilité… La liste est longue, et elle ne se voit pas sur une photo.
Ils ont des charges, des factures à payer, et des besoins fondamentaux comme tout le monde : manger, se loger, se soigner. Et, ironie du sort, ils auraient aussi besoin de temps pour eux, de loisirs, de repos… mais comme on leur demande sans cesse de travailler gratuitement ou à des tarifs en dessous de leur valeur, ils passent leur vie à enchaîner les prestations, juste pour joindre les deux bouts.
Ils ne sont pas en train de « vivre de leur passion ». Ils sont en mode survie.
Ce ne sont pas des passionnés hors-sol, mais des travailleurs comme les autres.
Faire appel à un photographe bénévole, c’est souvent profiter d’un service pro sans en assumer le coût. Et quand les photos sont ensuite utilisées pour vendre, communiquer ou alimenter des dossiers de sponsoring, ce n’est plus du bénévolat. C’est une prestation déguisée.
« Tu seras crédité, c’est bon pour ton book »
Cette phrase, tous les photographes l’ont entendue. Le fameux « échange gagnant-gagnant ».
En réalité, le photographe dépense de l’argent, donne du temps, et reçoit une promesse vague d’exposition, souvent sans lien avec ses objectifs professionnels.
Et bien souvent, les réseaux sociaux de l’organisateur ont moins de visibilité que ceux du photographe lui-même. On promet une visibilité à quelqu’un qui en a parfois déjà bien plus que l’événement couvert.
Et soyons honnêtes : hormis les photographes eux-mêmes, qui va vraiment chercher à savoir qui est l’auteur des photos dans une publication ?
Être crédité, ce n’est pas être payé. D’ailleurs, le crédit est une obligation légale, pas une faveur. Et la visibilité, quand elle existe vraiment, ne remplace ni le paiement d’un loyer, ni l’achat de matériel, ni même la reconnaissance du travail fourni.
Spoiler : dans 99 % des cas, travailler gratuitement n’apporte strictement rien, hormis de la fatigue, de l’usure du matériel, et une perte sèche de temps et d’argent.
Un problème systémique
Le pire, c’est que cette demande de travail gratuit s’est banalisée. Elle touche les photographes professionnels comme les amateurs, les étudiants comme les plus expérimentés. Elle crée un cercle vicieux : ceux qui acceptent ces conditions entretiennent le système, et rendent encore plus difficile le fait de facturer son travail.
Et bien sûr, les organisations concernées ont parfois peu de moyens. Mais dans ce cas, pourquoi faire reposer un besoin aussi clé sur un « si quelqu’un veut bien venir bénévolement » ?
Surtout lorsqu’on va ensuite utiliser les photos pour promouvoir un événement, une entreprise ou autre activité. Dans ce cas, ce n’est pas un simple souvenir, c’est un contenu à valeur commerciale, qui doit être de bonne qualité pour remplir son rôle efficacement.
Une alternative simple : faire autrement
Vous n’avez pas un gros budget ? C’est compréhensible.
Mais comme je l’ai souvent dit : mieux vaut faire appel à un photographe pour deux heures que pour deux jours. Faites-le venir sur les moments clés, définissez ensemble vos priorités. Vous aurez moins d’images, mais elles seront bien faites, et dans le respect du métier.
Et si ce n’est pas envisageable, prenez votre smartphone ou un appareil d’entrée de gamme, et faites au mieux.
Parce que oui, quand je n’ai pas les moyens d’acheter une Ferrari, je n’exige pas qu’on me la donne gratuitement. Je choisis une Twingo. J’adapte mes attentes à mon budget. Pourquoi ça devrait être différent avec un photographe ?
Mais ne partez pas du principe que la photographie est moins légitime qu’un autre métier. Elle ne l’est pas. Et les photographes ne sont pas des hobbyistes toujours disponibles « pour le plaisir ».
Conclusion
Photographes : votre travail a de la valeur. Ce n’est pas à vous de toujours baisser vos tarifs ou de dire oui « pour faire plaisir ».
Et si vous avez besoin de contenu pour votre book, il existe bien d’autres solutions que de réaliser gratuitement une prestation à la place d’un professionnel. Créez vos propres projets, collaborez entre créatifs, proposez des séances tests dans un cadre maîtrisé — mais ne bradez pas votre métier pour remplir un portfolio. Vous méritez mieux.
Organisateurs : si vous avez besoin de photos, prévoyez-le comme vous prévoyez une sono, une scène ou un traiteur. Anticipez ce besoin dès la planification de votre événement, en identifiant les moments clés à couvrir, en adaptant la durée de la prestation à votre budget, ou en prévoyant une enveloppe dès le début, même modeste.
Et si ce n’est pas possible, alors soyez transparents, assumez vos limites, et n’utilisez pas les images comme si elles étaient dues.
La visibilité ne remplace pas le respect.
Et le respect commence par considérer la photographie comme ce qu’elle est : un vrai métier.
Et vous, avez-vous déjà été confronté à ce type de demande ? Que répondez-vous lorsqu’on vous propose de travailler gratuitement ?
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